Hommage à Pierre et Michèle Rabhi

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83 ans, hémorragie cérébrale. Si jeune ? Cela me paraît incompréhensible. 

Cette vieille éducation française qui invite à la discrétion dans l’expression de ses sentiments et de sa vie privée vient encore me chercher ces jours suite au décès de Pierre Rabhi.

Plusieurs personnes me le demandent en message privé. Donc voici mon point de vue. Où est l’orgueil ?

Raconter notre rencontre si modeste fut-elle comme avec fierté de ne pas être passée à côté d’un grand homme disparu ?

Me taire par grandeur d’âme, par communion avec le silence qui nous lie à tous les humains et à la paix que la décence invite certains d’entre nous à respecter en ces moments de douleur ?

Et si ces histoires que chacun relate au décès d’un proche étaient aussi des moyens de faire goûter à ses amis, voire à ses ennemis, une parcelle de lui qu’on ne découvre pas forcément dans les médias ?

Et si ces liens, ces histoires de vie qui ont inspiré, étonné, émerveillé tant de monde ou peu mais intensément, étaient des façons d’entremêler son message et le nôtre en lui rendant hommage tout en le nuançant.

Et si je m’accordais le droit de rajouter mon grain de sel dans l'hommage ?

SEL, Système d’Échange Local

où la monnaie n’est pas de l’argent mais du temps. Système remis en circulation sous l’impulsion des énergies gravitant autour de ce cher grand petit homme.

C’était autour de 1997. J’avais quitté mon cabinet de Lyon pendant une semaine pour compléter ma formation en Gestalt (Psychothérapie du contact) à 15 km du lieu où Pierre Rabhi menait ses recherches agricoles.

Comment notre rencontre a-t-elle été initiée ? Aucune idée.

Avec une de mes amies du stage de Gestalt, je me retrouve chez Pierre Rabhi, autrement dit dans la commune de Viols-le-fort (cela ne s'invente pas) dans un jardin semblant quasi-désertique.

Ma première impression est confuse.

C’est ça le jardin de cet être présenté comme d’exception ? Le grand agriculteur biodynamique ?

Quelques plantes maigrichonnes plantées ça et là, un tas de compost ridicule, une maison…

Pierre nous fait visiter son jardin.

Il a placé comme des entonnoirs, le goulot près du sol, autour de plantes minuscules, des bouteilles d’eau en plastique dont le fond a été découpé.

Du plastique ? Pour cultiver en bio ? Mes préjugés de citadine ignorante...

Il nous explique que cette terre en Hérault est très utile parce qu’elle est aride et permet à l’équipe de faire des expériences pour des cultures autosuffisantes en Afrique désertique.

L’eau de pluie peu fréquente passe par le trou large du fond découpé de la bouteille pour se concentrer sur la tige qui a soif.

Whaou ! Pierre Rabhi continue en France les expériences qu’il a commencées au Burkina Faso un des pays les plus pauvres du monde pour favoriser l’autonomie des populations par rapport aux aléas de la saison des pluies dont le moindre retard peut causer des catastrophes alimentaires considérables.

Pierre parle bien. C’est un poète enseignant avec ce souffle qui donne une importance sacrée à sa moindre parole.

Il nous explique aussi qu’il reçoit des élèves des classes pour les initier. Ces enfants le rendent tristes.

C’était il y a plus de  20 ans. Et déjà, il regrettait que ces petites têtes fussent formatées par les écrans et ne sussent plus voir le grand livre de la vie, l’enseignant suprême.

J’apprends aujourd’hui par Sophie sa fille, que ces jeunes étaient invités dans le cadre des "accueils paysans" organisés par Michèle, compagne de toujours et maman de leurs cinq enfants.

Avec un geste figurant un écran d’ordinateur, il nous montre comment la vision des bambins est rétrécie. « C’est comme s’ils se promenaient avec un écran rivé à leur visage. Il ne voient pas ce qu’il y a autour d’eux» nous dit-il avec tristesse. 

Deux moments forts d’une rencontre fugace.

Qu’a-t-il d’extraordinaire ce cher homme ? Pourquoi ces diatribes d’éloges ou de controverses ?

Que lui est-il reproché ?

Ne pas avoir tenu les discours attendus par l’idéologie d’intellectuels censés déterminer la bien-pensance de l’époque ?

Pourquoi cette quasi-adoration de ses partisans ?

C’est vrai que finalement, il n’a fait que parler et écrire. Et puis un peu cultiver la terre. D’où vient sa magie ? Des mots ? Un beau parleur ?

L’élan vital !

Depuis une dizaine d’années, à partir de ce jardin, à travers le CIEPAD (Carrefour International d’Échanges et de Pratiques Appliquées au Développement) qu’il a initié, Pierre Rabhi formaient des responsables Africains à l’agriculture biologique.

Il inspire :

- des formes de développement pour des zones pauvres et arides ;

- la réhabilitation d’oasis ;

Grâce à ses projets, des habitants de terrains pauvres dans tous le Maghreb, en Afrique Noire, en Pologne, en Ukraine, … retrouvent l’espoir de la capacité de produire par eux-mêmes.

À la même époque, je visitais dans le sud de la France des personnes, des « colibris », qui créaient des « oasis en tout lieu ». Des bouts de terre escarpée prenaient vie sous les mains de gens pauvres qui avaient retrouvé l’espoir. Quelques bottes de paille, des matériaux plus ou moins récupérés, des jeunes et des moins jeunes crapahutaient dans les collines y construisant quelques maisons en chaume, y tissant des couvertures en laine pour se réchauffer ou pour vendre au marché, cultivant leur jardin, retrouvant la vie simple en harmonie avec la Terre.

Alors oui, son association reçoit des dons pour la promotion et le développement de l’agro-écologie. Et alors ? Travaille-t-il pour lui ? Son action n’est-elle pas urgente et vitale ? Et puis ce sont des dons privés. En quoi cela regarde-t-il les détracteurs rivés à leurs écrans ?

Ont-ils une cause ? Savent-ils la faire connaître ?

J’ai souvent pensé à Michèle, son épouse, sa compagne d’une vie. C’était une autre génération. N’est-ce pas merveilleux pour une femme de féconder l’énergie créatrice d’un tel homme ?

Certes, il a tenu le stylo, mais qu’aurait-il fait sans elle ? Sans une femme qui s’occupe de toute la logistique ? Je ressens comme une injustice que la gloire d’une existence commune revienne seulement à l’homme du couple. La femme connaît son rôle, en humble compagne et mère, elle se réjouit de la réussite de sa famille.

Comme c’est merveilleux de se sentir à sa place auprès d’un homme, dans un couple créateur d’un autre monde.

Et si la femme, sa femme était reconnue comme co-créatrice de ce nouveau monde ? Ne serait-ce pas justice ? Qu'en pensez-vous ?

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Line CLAIR

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